jeudi 31 mars 2016

Kitshanga, se prostituer ou crever de faim

camp des déplacés de kitshanga, cc Esther Nsapu
«Par semaine je peux avoir entre dix à quinze dollars mais je ne peux pas dire à mes enfants comment j’ai eu cet argent. Surtout avec le plus âgé c’est vraiment pénible pour lui » raconte FR une femme déplacé qui gagne son pain quotidien grâce au plus vieux métier du monde.

Nous sommes à kitshanga, à environ 90 kilomètre de la ville de Goma. Dans le camp de Mungote. ce camp est l'un des dizaines des camps présent au Nord-Kivu depuis que la guerre qui déchire cette province depuis 20 ans maintenant. Plusieurs villages ont été désertés suite à l’insécurité récurrente. Et les camps des déplacés internes augmentent en nombre pendant que la capacité d’intervention du programme alimentaire mondial (PAM) se réduit chaque année.

Le PAM vient en aide seulement aux plus vulnérables, les autres se débrouillent

Seulement au Nord-Kivu, cent quatre-vingt-neuf mille deux cent soixante-neuf individus vivent dans les camps desdéplacés et le PAM ne peut plus satisfaire tout le monde. «Avec toutes les guerres et les catastrophes naturelles dans le monde, le budget du PAM  en République démocratique du congo a été réduit et donc nous sommes obligés de venir en aide seulement aux plus vulnérables. Les autres trouveront d’autres moyens de survie » Explique Jacques Officier de communication du PAM au Nord-Kivu.

Pour survivre, certaines femmes font recours à la prostitution. Entre 10 à 15 dollars par semaine, elles parviennent à nourrir leurs familles. FR est l’une d’entre elle. Agé de 37 ans, elle est veuve avec 7 enfants qu’elle doit nourrir toute seule. C’est souvent pendant la journée en l’absence de tous qu’elle reçoit ces ‘’invités’’. Après avoir marchandé le prix qui varie entre 2000 franc congolais et 5 dollars américains, ils passent à l’acte.

« Bien sûr, j’exige du cash avant pour qu’après je me rende au marché chercher le haricot ou les patates pour mes enfants.c’est dur mais je n’ai pas d’autres choix ». explique-t-elle le regard dans le vide.

Souvent ce sont les hommes mariés qui se bousculent derrière la ‘’boutique’’ de FR. Elle peut avoir jusqu’à 2 clients par jour. Ce sont des déplacés comme elle ou des habitants de la cité de kitshanga. Ils viennent la trouver dans des ‘’huttes fantômes’’ (huttes non habités) pour l’acte.   
 
Les jeunes filles se donnent aussi à ce genre de pratique. A Quinze ans, UR est déjà mère célibataire. ‘’Je couche avec des hommes seulement quand j’ai faim et que je ne peux pas avoir à manger. On me donne un biscuit, un beignet ou un morceau de canne à sucre’’.

Les plus âgées se protègent des IST mais les adolescentes non

En écoutant ces témoignages, je me demande comment elles font pour se protéger. FR elle, prend toujours soin d’utiliser le préservatif qu’elle demande au centre de santé de la cité. ‘’ Je demande aux médecins des préservatifs et des pilules contraceptives. Je leur explique bien comment je gagne de l’argent, ils m’encouragent à venir prendre ce dont j’ai besoin à l’hôpital’’. 

Mais UR n’a jamais utilisé un préservatif ou même une pilule contraceptive. D’ailleurs elle semble étonnée quand je lui pose la question. ‘’ Je ne me protège pas et j’aurai honte d’aller au centre de santé pour demander des préservatifs. Je pourrais y croiser les gens qui me connaissent’’ dit-elle en gardant le regard sur ses sandales.

Selon le Médecin Directeur du Centre de santé de référence du Communauté Baptiste au Centre de l’Afrique, Bernard Kakule, les jeunes filles ne se précipitent pas à sa porte pour demander des préservatifs ou des conseils. ‘’ Je ne reçois que des femmes en âge adulte. A mon avis c’est parce que les adolescentes ne sont pas au courant du danger qu’elles courent en couchant avec n’importe qui sans protection.’’ Ajoute-t-il.

une femme déplacée de kitshanga, cc Feza Umande Alice
Dans tous les cas, elles sont nombreuses ces filles et femmes dans les camps des déplacés qui par nécessité se sentent obligées malgré elles à se prostituer pour assurer la subsistance de leur maisonnée ;  mais il y a un prix à payer : le discrédit :   « C’est un travail discréditant. Les femmes qui connaissent mon travail s’arrangent pour éloigner leurs maris de moi. Mais le pire c’est quand mon fils de 16 ans se rend compte que pour manger sa mère se prostitue. Il ne me regarde plus en face. 

« C’est tellement pénible pour nous tous. », me révèle Madame FR avant d’ajouter : « Tout ce que je  souhaite de tout cœur ce que la paix revienne dans mon village afin que j’y retourne et  gagne ma vie dans la dignité  en cultivant mon champ ».



                                                                             Par Feza Umande Alice